Première publication, novembre 2006 (révisée août 2015)
Le physicalisme ontologique, ou matérialisme, qui affirme que chaque chose, dont les choses non physiques, est physique, ne doit pas se réduire à une « pétition de principe ». La complétude de la physique, dont parle le précédent billet, ne dit rien au sujet des choses non physiques. En effet, le principe de complétude peut être interprété comme étant seulement un principe méthodologique présidant à toute science physique. Une intuition a priori n’est donc pas suffisante pour justifier le matérialisme au sujet de la conscience ou de l’esprit. Pour être vrai, le matérialisme a besoin d’un argument. Cet argument existe et a fait l’objet, sous une forme ou sous une autre, de nombreux développements (D. Lewis[1], D. Armstrong[2], D. Davidson[3], et dans une présentation plus récente, David Papineau[4]). L’intérêt crucial de l’argument causal est de permettre la déduction du matérialisme au moyen de trois prémisses :
1. Les occurrences mentales de conscience ont des effets physiques.
2. Tous les effets physiques sont pleinement causés par leur seule histoire physique.
3. Les effets physiques des causes de la conscience ne sont pas toujours surdéterminées par des causes distinctes.
L’argument repose sur une première prémisse affirmant qu’il y a la causalité mentale dans le monde, autrement dit, que le mental exerce dans le monde physique une influence réelle. Ainsi, la vérité de la prémisse (1) est portée par une intuition non négociable en tant qu’agent, que nos états de conscience produisent des causes. On pourrait, en embrassant la thèse épiphénoméniste au sujet du mental, c’est-à-dire en rejetant le pouvoir causal du mental sur des effets physiques, dénier une telle prémisse. Cependant, emprunter cette option, afin de ne pas permettre à l’argument causal de se mouvoir vers sa conclusion physicaliste, peut apparaître comme un prix fort élevé. (C’est néanmoins l’ultime choix de Jaegwon Kim concernant le physicalisme).
Les prémisses posées, l’argument se meut alors ainsi :
« Un grand nombre d’effets que nous attribuons aux causes de la conscience possèdent de pleines causes physiques. Mais il serait absurde de supposer que ces effets sont causés deux fois. Ainsi, les causes de la conscience doivent être identiques à certaines parties de ces causes physiques[5]. »
Un argument philosophique se développe avec d’autant plus de force que chacune des prémisses, qui le constituent, est acceptable de la manière la plus large. Ici, les trois prémisses prises isolément sont toutes acceptables et lorsqu’elles s’agrègent les unes aux autres, elles font cheminer l’argument vers sa conclusion. Cependant, pour que chaque prémisse contribue de façon particulière au travail de l’argument, celles-ci doivent témoigner indépendamment les unes des autres, de cet aspect du monde que l’on est enclin à accepter le plus largement possible. Ainsi :
– La prémisse (1) affirme l’existence d’un lien causal entre le mental et le physique.
– La prémisse (2) certifie l’existence d’un lien causal à l’intérieur du domaine physique.
– La prémisse (3) impose un choix entre les deux causes.
L’argument causal, qui revient à admettre que si les occurrences de conscience sont des causes, alors ces causes doivent être identiques à des causes physiques, conduit à reconnaître une identité entre les événements mentaux et les événements physiques. Ce physicalisme ontologique que l’argument déduit est alors un monisme qui affirme que le monde est composé uniquement d’entités physiques. Cependant, selon la conception que l’on aura de la causalité, mais aussi de ce que sont des événements et par extension, selon la conception que l’on soutiendra à propos des propriétés en général et des propriétés mentales en particulier, les conclusions d’un tel argument pourront alors nous conduire à des résultats fort différents quant à l’ontologie de ce que l’on désigne par le terme « esprit ». Autrement dit, pour qui veut rendre compte de l’esprit dans notre monde physique, un éclairage métaphysique de ces notions est alors incontournable.
Références
[1] 1966, « An Argument for the Identity Theory », The Journal of Philosophy 63.
[2] 1968, A Materialist Theory of Mind, London: Routledge and Kegan Paul.
[3] 1970, « Mental Events », in Davidson, 1980, Essays on Actions and Events., trad. Française P. Engel, Actions et événements, Paris, P.U.F., 1993.
[4] 2001, « The Rise of Physicalism », in Physicalism and its Discontents, edited by Carl Gillet, Barry Loewer, Cambridge University Press, p. 3 – 37 ; 2002, Thinking about Consciousness, Oxford: Oxford University Press.
[5] Ibid., p. 17.
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