Première publication, mars 2007 (révisée août 2015)
David Armstrong a publié en 1968, un livre intitulé A Materialist Theory of the Mind qui fut, sans doute, le livre le plus important sur le sujet de l’esprit depuis celui de Ryle.
L’analyse de l’esprit faite par Ryle, consistait à identifier l’esprit à des dispositions à se comporter. Alors qu’un événement ou un état peuvent être observables, une disposition ne l’est pas. Avoir une croyance est avoir une disposition, qui n’est ni un état ni une occurrence et qui n’est donc pas observable. Cependant, bien que les dispositions ne soient pas observables, les attributions de concepts de dispositions peuvent néanmoins être vérifiées. La vérité d’un énoncé d’attribution dispositionnelle peut, en effet, être évaluée comme une proposition subordonnée de condition du type « si… alors… ». Ainsi, dire qu’un vase est fragile, selon Ryle, ne signifie rien d’autre que s’il était frappé par un marteau, alors il se briserait. Les dispositions mentales seront alors traitées exactement de la même façon que les termes non mentaux et analysés en termes conditionnels.
Ainsi, à ne pas vouloir tomber dans l’erreur de catégorie, Ryle, sans sa stratégie anti-cartésienne, prendra un soin particulier et systématique à ne pas rechercher la vérité d’un énoncé d’attribution dispositionnelle au-delà d’un certain énoncé conditionnel.
Pour Armstrong, ce qui manque à cette analyse c’est la réponse à la question de ce qui, dans le monde, rend vrai un énoncé d’attribution propositionnel. Si Ryle, en phase avec la tendance anti-ontologique qui régnait alors à Oxford, ne vit nullement l’intérêt de penser en termes de vérifacteurs[1] (truthmaker) pour justifier sa théorie, Armstrong, quant à lui, se mit en quête de la réponse ontologique.
Le raisonnement d’Armstrong consista alors à considérer que, ce qui pourrait rendre vrai une proposition conditionnelle au sujet du mental serait que son possesseur soit doté de certains pouvoirs causaux. Pour cela, il identifia les dispositions avec un état de l’objet à qui on attribuait justement de telles dispositions, un état qui était responsable de cette manifestation dispositionnelle, en l’occurrence pour le mental, un état du cerveau.
Le matérialisme de l’identité d’Armstrong appartient à la seconde vague du matérialisme de l’identité, après Place, Feigl et Smart. Dans son livre Armstrong produit une analyse conceptuelle des concepts mentaux puis développe sa thèse qu’il intitule « théorie de l’état central ». Après cette analyse et après avoir présenté le béhaviorisme comme une forme incomplète de matérialisme, Armstrong écrit :
Maintenant nous devons examiner la seconde forme de matérialisme, le point de vue qui identifie les états mentaux avec des états purement physiques du système nerveux central. Si l’esprit est pensé comme ‘ce qui possède des états mentaux’, alors nous pouvons dire, selon cette théorie, que l’esprit est simplement le système nerveux central, ou, avec moins de précision, mais plus pragmatiquement, que l’esprit est simplement le cerveau[2].
Ainsi, la version d’Armstrong de ce « matérialisme de l’état central » définit l’état mental comme un état physique du cerveau apte à causer un certain type de comportement. Autrement dit, l’état mental n’est autre que l’état qui occupe un certain rôle causal. D’autre part, Armstrong affirme que les sciences naturelles nous fournissent de bonnes raisons de croire que l’état qui joue un rôle causal dans la sensation de douleur, par exemple, n’est pas une sorte de modification qui se produirait dans une substance immatérielle, mais serait plutôt un état ou un processus neural.
La question qui se pose, alors, est celle de savoir si nos concepts d’états phénoménaux comme la douleur et autres sensations sont réellement des concepts d’états qui occupent des rôles causaux spécifiques ? Notre concept de douleur est-il seulement le concept d’un état qui est normalement causé par des lésions ou des meurtrissures dans nos tissus et qui normalement nous conduit à certains comportements de gémissements et d’évitements ? Est-ce que la recherche neurophysiologique empirique qui établit l’évidence entre l’activation de certaines zones neurales et un certain comportement doit nous conduire à la conclusion que la douleur est identique à ces états du cerveau ? Ne peut-on pas, en effet, concevoir, que la douleur puisse être éprouvée par des organismes radicalement différents des êtres humains ?
Références
[1] C’est dans les années 50 que C.B Martin avança un principe central pour le réalisme en métaphysique : les vérifacteurs. Ce principe affirme que quand un énoncé concernant le monde est vrai, il doit y avoir quelque chose au sujet du monde qui le rend vrai. Pour Martin, il n’existe pas de porteur nu de vérité. Cf. Armstrong, Truth and Truthmakers, Cambridge University Press, 2004.
[2] 1968, A Materialist Theory of Mind, London: Routledge and Kegan Paul, p. 73.