Première publication, octobre 2008 (révisée août 2015)
Le monde humien est un monde sans pouvoirs causaux. Ce que nous observons, ce sont des régularités : lorsque je lâche ce livre de philosophie il tombe toujours sur le sol. La succession régulière d’événements de ce genre dans un monde humien n’entraîne qu’un simple enregistrement de régularités. Considérer la relation causale singulière, affirmer que l’occurrence de l’effet est expliquée par l’occurrence de la cause, correspond à un abandon du projet humien de la causalité et ouvre à une compréhension nouvelle de la notion de loi de nature.
Selon Anscombe, on ne peut établir qu’une occurrence de relation causale singulière soit identique avec une loi de nature. David Armstrong, quant à lui, nuance cette thèse en cherchant à démontrer que si l’on ne peut jamais savoir a priori que tel processus causal est une instance d’une loi de la nature, il faut admettre que cette instanciation puisse être révélée a posteriori. En effet, pour Armstrong[1], une véritable compréhension des lois n’est pas en contradiction avec l’intuition de la relation causale comprise comme relation intrinsèque.
Pour expliquer cette entrée a posteriori des lois dans la relation causale, il est nécessaire de se démarquer de la conception des événements initiée par Davidson. D’un éclairage que l’on pourrait qualifier de « linguistique » des événements, Armstrong lui oppose une analyse métaphysique. C’est ainsi que pour tous les partisans d’une approche métaphysique de la relation causale, l’usage des intermédiaires linguistiques ne permet pas de dégager la structure intrinsèque de l’événement causal. Le point de vue métaphysique, pour parler des événements, privilégie donc les catégories d’objets et de propriétés.
Pour Heathcote et Armstrong, il faut alors rechercher quelle est, dans un événement/cause, la propriété causale pertinente. Ils écrivent :
Il nous semble, que ce qui réellement possède le punch causal est une certaine propriété particulière de l’événement causant, de sa relation à l’événement causé.[2]
Cependant, reconnaître l’existence des pouvoirs causaux des propriétés est une chose. Reste à se demander d’où l’on tient ces pouvoirs causaux. Autrement dit, en vertu de quoi une propriété possède-t-elle son pouvoir ?
Une autre conception des lois, qui ne seraient pas de simples régularités pourrait alors permettre de comprendre ce qui donne aux propriétés ce pouvoir.
La théorie des lois proposée par F. Drestke[3], M. Tooley[4]et D. Armstrong[5] est basée sur l’existence de propriétés et de connexions entre elles. Les lois de nature deviennent alors des relations nécessaires entre les propriétés considérées comme des universaux. Ici, les propriétés comme universaux se comprennent comme des caractéristiques répétables du monde spatio-temporel. Ainsi, la propriété universelle de « posséder une charge positive » par exemple, signifie que la même propriété est exemplifiée par chaque entité particulière chargée positivement. Ces lois sont donc constituées de relations entre universaux. Pour Armstrong, lorsque nous faisons l’expérience d’une séquence de relation causale singulière, ce dont nous faisons véritablement l’expérience, c’est de la nomicité, c’est-à-dire de l’instanciation d’une loi[6]. Pour Armstrong, ce ne sont donc pas des instances particulières qui entrent en relation, mais des universaux.
Ainsi, selon cette thèse de nécessitation entre universaux, les pouvoirs causaux des propriétés dans la relation causale sont octroyés par les lois de nature. Autrement dit, pour Armstrong, les propriétés ne possèdent pas leurs pouvoirs essentiellement :
Mon idée est que cela est mieux fait directement via les relations directes entres les universaux impliqués. Il en résultera que les lois de nature et les pouvoirs ne seront rien de plus, que ces lois. Ainsi nous pouvons dire, que les vérifacteurs pour les attributions des pouvoirs sont ces lois.[7]
Ne pourrait-on pas cependant, contre Armstrong, soutenir que ce sont les propriétés elles-mêmes qui possèdent leurs propres pouvoirs causaux ? Cela modifierait encore l’interprétation que l’on peut faire des lois. Etre une propriété reviendrait alors à posséder un pouvoir essentiellement.
Références
[1] 1983, What is a Law of Nature?, Cambridge University Press ; 1997, A world of State of Affairs, Cambridge, Cambridge University Press.
[2] 1991, Causes and Laws, Noûs 25, p. 67.
[3] 1977, « Laws of Nature », Philosophy of Science, 44, p. 248-268.
[4] 1977, « The Nature of Laws », Canadian Journal of Philosophy, 7, p. 667-698.
[5] Op.cit., 1983.
[6] Op., cit., 1977, p. 227.
[7] 2005, « Four disputes about properties », Synthèse 144, p. 310.