Première publication, novembre 2007 (révisée août 2015)
Considérer qu’il est nécessaire, dans un compte-rendu sur l’esprit, d’accorder une place centrale à la causalité mentale est une chose ; définir ce qu’est la causalité en est une autre. L.R. Baker propose de définir les sortes de « choses » que sont les causes de la façon suivante :
Suggérons que les causes soient les sortes de choses qui sont citées dans les explications des événements. Comprenons ‘c a causé e’ de la façon suivante : (i) si c ne s’était pas produit alors, toutes choses égales par ailleurs, e ne se serait pas produit, et (ii) étant donné que c s’est produit, toutes choses égales par ailleurs, e était inévitable.[1]
L’« inévitabilité » de l’effet, dont parle Baker, prend appui sur ce que dans la littérature on nomme l’approche contrefactuelle. Ce concept de causalité peut-il vraiment nous aider à spécifier la cause ? Autrement dit, la théorie contrefactuelle de la causalité peut-elle contribuer à l’identification de cette cause et à nous éclairer sur le comment une chose comme la relation causale du mental au physique est rendue possible ?
Si par exemple, alors que vous vous trouvez devant la porte de votre maison et après avoir inspecté le fond le vos poches désespérément vides, vous vous souvenez que vous avez laissé vos clés sur votre lieu de travail, cela semble former une cause de votre comportement consistant à faire demi-tour et à retourner vers l’endroit où vous supposez que vos clés se trouvent. La cause (c) de votre comportement (e) qui est un ensemble de mouvements physiques est alors cette croyance que vos clés se trouvent à cet endroit. Ainsi nous avons :
(1) c cause e.
Ce qui pourrait nous aider à confirmer que la cause de ce comportement est bien ce désir d’ouvrir la porte de votre maison et cette croyance que vos clés sont sur restées sur votre lieu de travail, pourrait être le fait explicatif suivant :
Si vous ne vous étiez pas souvenu que vos clés étaient restées sur votre lieu de travail (c), alors vous n’auriez pas fait demi-tour (e).
Toute analyse conceptuelle de la notion de cause est guidée par l’idée qu’une cause fait une différence dans son effet. David Lewis ajoute que : « la différence [que fait cette cause] doit être une différence de ce qui serait arrivé sans elle.[2] » Pour rendre compte, de cette différence qui se traduit par une certaine dépendance d’un événement (e) envers un autre (c), Lewis développe une analyse de propositions sur le mode contrefactuel. Ainsi, en démentant la cause, l’existence d’une certaine dépendance se trouve révélée. Nous obtenons alors :
(2) Si c ne s’était pas produit, e ne se serait pas produit.
Notons que la thèse de Lewis sur la causalité est historiquement reliée aux analyses de Hume sur la causalité. La forme de l’analyse contrefactuelle utilisée par Hume était « si le premier objet n’avait pas existé, le second n’aurait jamais existé.[3] »
Ainsi, l’évidence de la vérité de l’énoncé contrefactuel établissant, à la façon d’une condition sine qua non, que l’événement mental de la croyance que les clés sont restées sur lieu de travail est la cause de votre comportement, rend alors possible la causalité mentale ou pour le dire comme Baker, la rend « inévitable ». Cependant, clairement, pour la théorie contrefactuelle de la causalité, « c cause e » ne signifie strictement rien d’autre que « si c ne s’était pas produit, e ne se serait pas produit ». Ce contrefactuel, Lewis l’asserte, est vrai si et seulement s’il existe un monde possible dans lequel c échoue à se produire et où e également échoue à se produire. Dans ce monde, très proche du nôtre, dans lequel c existe mais ne se produit pas, e ne se produit pas non plus. En conséquence, dans notre monde où c se produit, on dit alors de e qu’il dépend contrefactuellement de c. Toutefois, le compte rendu contrefactuel n’explique en rien la proposition « c cause e ». De la même façon que le fait que si vous êtes un homme adulte non marié n’est pas expliqué par le fait que vous soyez célibataire. Ainsi, lorsque nous nous demandons comment un désir et une croyance peuvent bien être la cause d’un comportement, l’évidence de la vérité de l’énoncé contrefactuel ne nous est d’aucune aide, mais l’évidence de notre conviction dans l’existence de la causalité mentale – ce qui n’est pas si mal – se trouve renforcé. En conséquence, l’énoncé (2) confirme l’énoncé (1), mais ne l’explique pas. Autrement dit (2) ne nous dit pas pourquoi (1) est vrai.
Références
[1] 1993 « Metaphysics and Mental Causation » in Mental Causation, « Non-Reductivism and Mental Causation », in Heil, J. and A. Mele, Mental Causation, Oxford: Clarendon Press, p. 93.
[2] 1973, « Causation », The Journal of Philosophy, 17, p. 557.
[3] 1748, Enquiry Concerning Human Understanding, trad. française André Leroy, Paris, Garnier Flammarion, (1983).