Première publication, avril 2007 (révisée août 2015)
Selon Daniel Dennett, avoir un esprit pour une créature est, strictement parlant, une perspective utile d’observation. En pratique cela revient à considérer la créature observée comme étant une des nôtres : un être possédant des croyances et des désirs pour certains états de choses, un être qui agit rationnellement à la lumière de ces croyances et désirs. Lorsque l’on observe un chat prêt à bondir sur une mésange, on suppose que le chat a faim et qu’il cherche à se nourrir. Le chat croit que les mésanges sont de la nourriture, il croit aussi que les mésanges peuvent être trouvées dans le jardin, sous la perche au sommet de laquelle un distributeur de graines de tournesol a été installé. Autrement dit, le chat agit rationnellement à la lumière de ses croyances et de ses désirs.
En décrivant le comportement du chat en référence à ses croyances et ses désirs, vous adoptez ce que Dennett appelle « la perspective intentionnelle[1] » (Intentional stance). Cette perspective est un bon moyen pour donner à la fois du sens et prédire le comportement d’une créature quelconque.
Est-ce que le chat possède vraiment ce que l’on peut appeler des « croyances » et des « désirs » ? Est-ce que l’on peut dire qu’il se comporte rationnellement à la lumière de ses croyances et ses désirs ? Ne se comporte-t-il pas plutôt comme s’il avait des croyances et des désirs ? Pour Dennett, cette dernière question présuppose que certaines créatures seraient détenteurs de certaines entités nommées « croyances » ou « désirs », alors que d’autres sembleraient seulement les posséder. Avoir des croyances et des désirs n’est, selon lui, rien de plus qu’être explicable sous la perspective intentionnelle. Si on parvient à expliquer le comportement d’une mouche en utilisant cette perspective, alors on pourra dire que la mouche a des croyances et des désirs.
Et les plantes ? Elles enfonceraient leurs racines dans le sol parce qu’elles ont soif ? Elles croiraient trouver de l’eau sous la terre ? Ne pourrait-on pas dire, alors, que le thermostat qui règle la température ambiante d’un logement possède aussi des croyances ? Il enclenche la chaudière parce qu’il croit que la température est en dessous de 19°C et qu’il veut qu’elle remonte au-dessus de 19°C.
Adopter la perspective intentionnelle pour les chats, les plantes ou les thermostats n’est pas plus métaphorique, aux yeux de Dennett, que de le faire pour les êtres humains. En attribuant des croyances et des désirs à des objets, des systèmes, des créatures, nous adoptons la perspective intentionnelle. La perspective intentionnelle nous permet de donner du sens et de prédire le comportement de n’importe quel système qui tombe sous ce genre de description. Ainsi, pour Dennett, posséder un état mental intentionnel comme une croyance et un désir, est complètement indépendant du fait que sa constitution interne soit proche ou non de la nôtre.
La perspective intentionnelle de Dennett n’est donc pas une position réaliste quant aux états internes d’un système qui causent le comportement de ce système. Selon la suggestion de Dennett, nous devons comprendre les croyances et des désirs comme des objets abstraits – comme le centre de gravité, par exemple ! Cette position instrumentaliste qui considère les croyances et les désirs comme des structures théoriques que nous attribuons à certains systèmes afin de comprendre leurs comportements ne conduit-elle pas à considérer ces entités comme des fictions ? Attribuer des croyances et des désirs à autrui, serait-il, strictement parlant, faux ?
Références
[1] 1987, The Intentional Stance, MIT Press, Cambridge, trad. Française P. Engel, La stratégie de l’interprète, Paris, Gallimard, 1990.