Première publication, janvier 2007 (révisée août 2015)
Lorsque j’ai l’intention de saisir un verre d’eau placé devant moi, je peux me poser la question de savoir ce qui réellement permet à mon bras de s’allonger dans la bonne direction, à mes doigts de se plier et d’exercer une pression suffisamment forte afin de bloquer le verre pour que je puisse sans difficulté le porter à ma bouche. Cette intention est manifeste. J’en fais l’expérience. Sans la présence de cette intention, je me demande bien ce qui pourrait causer cet ensemble de mouvements.
Toutefois, la nature de cette intention semble très différente de la série des mouvements de mon bras vers le verre. Mes doigts, mon bras, sont assurément des parties de la réalité matérielle, objective et observable, qu’est mon corps. En revanche, mon intention est une manifestation de mon esprit, subjectif et privé. En conséquence, un observateur pourrait examiner le mouvement de mon bras et de mes doigts ; quant à mon intention, il ne pourrait pas l’observer et moi seul pourrais l’exprimer avec des mots. Il apparaît ainsi que, d’un côté, l’intention et, de l’autre, l’ensemble des mouvements de mes membres, soient deux choses très différentes. De plus, il s’avère impossible que l’un et l’autre interagissent. Autrement dit, il est douteux que cette intention puisse être la cause de cet ensemble de mouvements.
Les dernières phrases de chacun des deux paragraphes ci-dessus sont contradictoires. D’un côté un état mental intentionnel est requis comme étant une cause de mes mouvements ; d’un autre, ce même état mental ne semble pas pouvoir entrer en relation avec mes mouvements. A moins que l’on ait de la relation causale une conception excessivement libérale, il existe bel et bien un problème.
Le problème corps-esprit pose en effet la question de la relation entre les processus corporels et les processus mentaux. Comment expliquer cette relation ? Comment l’intention de boire de l’eau peut-elle mettre mon bras et mes doigts en mouvement ? Mon corps est composé d’un ensemble d’éléments entièrement descriptibles en termes physiques. Ces éléments possèdent de nombreuses propriétés physiques et chimiques. Comment mon intention peut-elle déclencher un processus qui démarre dans une zone neuronale de mon cerveau et qui finit par une série de contractions musculaires ?
Le problème corps-esprit existe parce que la vie mentale des organismes conscients compose une part de notre compréhension du monde. D’un côté, il semble manifeste que chaque chose qui arrive dans l’esprit dépende ou soit quelque chose qui arrive dans le cerveau. D’un autre côté, les caractéristiques des états et des événements mentaux, comme leur intentionnalité, leur subjectivité et leurs qualités d’expérience consciente, ne semblent pas compréhensibles seulement en termes d’opérations physiques dans un organisme.
On pourrait se dire que nous n’avons pas encore assez accumulé de données empiriques pour expliquer cette relation, mais ce serait sans doute une erreur. Le problème pourrait bien être ici, purement philosophique.
La chimie moderne explique la combustion différemment d’anciennes théories aujourd’hui obsolètes. On a, en effet, longtemps cru que la chaleur s’expliquait par la présence d’un fluide : le phlogistique. La théorie affirmait que tous les matériaux inflammables contenaient du phlogiston, une substance incolore, inodore, impondérable qui se dégageait du matériau en brûlant. En montrant que la combustion nécessitait la présence d’oxygène et que le phlogiston n’existait pas, ce dernier disparut du vocabulaire même de la science.
Peut-on attendre des sciences neurobiologiques, qu’elles nous expliquent la perception des couleurs par exemple comme la chimie l’a fait de la combustion ? Et en ce qui concerne mon intention de boire de l’eau, cela aurait-il un sens qu’un neurophysiologiste cherchât une trace des qualités particulières qui compose mon expérience intentionnelle ?
Si l’on est enclin à penser que nous pouvons remettre les clefs de la recherche sur l’esprit à la seule science physique, il se pourrait alors qu’elle se voie contrainte d’exclure un certain nombre de phénomènes que notre expérience qualifie de mentaux.
Se pourrait-il alors qu’une conception différente de la science physique (neurophysiologique), mais qui ne serait pas en concurrence avec la science empirique, puisse nous dire ce qu’est l’esprit ? Existe-t-il une manière plus unifiante de parler de l’esprit prenant en compte toute la richesse de notre vie mentale (tâche que ne semble pas pouvoir faire l’ensemble des différentes sciences empiriques) ?