L’exclusion causale explicative de Jaegwon Kim

Première publication, octobre 2009 (révisée août 2015)

L’argument de l’exclusion causale du mental – argument maître développé par Jaegwon Kim – met en péril le recrutement de tout événement mental susceptible de compter pour cause d’un effet dans le monde physique. Cet argument, central dans le débat contemporain, concernant la place causale du mental, prend appui sur un principe défendu, entre autres, dans un article récemment traduit dans le volume I de la Survenance et l’esprit de J. Kim, « Mécanisme, finalité et exclusion explicative ».[1]

Une explication se définit comme une relation dont les relata sont l’explanans (ce qui explique) et l’explanandum (ce qui est à expliquer). Pour Kim, une explication correcte requiert un fondement ontologique. C’est-à-dire que, selon lui, pour qu’une explication soit qualifiée d’ « objective » ou de « réelle » il doit exister dans le monde une relation déterminée entre l’explanans et l’explanandum. Ce que Kim nomme alors le « réalisme explicatif » est l’affirmation que C est un explanans pour E en vertu du fait que c porte à e une certaine relation objective déterminée R. Dans le cas des explications causales R est la relation causale. Ce que le réalisme explicatif dit est que l’explication causale de l’événement e par l’événement c est correcte seulement si c’est un fait objectif que c a causé e. Le réalisme explicatif cherche ainsi à s’écarter d’une conception de l’explication pour laquelle la relation entre l’explanans et l’explanandum est ce qui est constitutif de l’explication. Kim, en fait, rejette l’idée d’analyser la causalité en termes d’explication  argumentée et linguistique. Il déplace ainsi, ou mêle, pour le moins, l’explication aux événements particuliers.

De cette thèse du  « réalisme explicatif » Kim produit alors son principe d’exclusion en posant la situation au sein de laquelle deux explications, c1 et c2, seraient requises comme causes du seul événement e. Cherchant alors comment c1 et c2, pourraient expliquer cette situation, Kim envisage tous les liens possibles entre ces deux explications et conclut que, étant donné le réalisme explicatif, il est impossible que c1 et c2, puissent être à la fois des explications complètes, distinctes ou indépendantes du même événement e. Le principe de l’exclusion explicative s’impose alors de lui-même, qui stipule qu’ :

Il ne peut y avoir plus d’une simple explication complète et indépendante pour un événement quelconque.[2]

Ce principe, Kim l’affirme, fonctionne comme une contrainte générale à laquelle il est bien difficile d’échapper et ce, quelle que soit la conception que l’on se fait de l’explication. Ce principe signifie donc que si différentes explications de e sont en compétition et, néanmoins prétendent complètement l’expliquer, une des deux doit exclure l’autre.

Un des problèmes que soulève le principe du réalisme causal, et de son implication dans le principe de l’exclusion, est l’apparent glissement ontologique des relata que Kim semble orchestrer. En effet, si l’on admet que les explications sont des entités linguistiques et n’ont pour composant que des sujets grammaticaux et des prédicats, et que les événements sont des instanciations de propriété à un certain moment, le remplacement de l’un par l’autre ne peut être sans conséquence. Mais Kim n’opère pas vraiment ce glissement ontologique. Les explications « racontent des histoires causales »  et ces histoires ne doivent pas être différentes.[3] Kim ne veut sans doute pas signifier non plus que les énoncés racontant ces histoires causales utilisent des prédicats distincts qui à chaque fois correspondraient à une propriété. En effet, un critère d’individuation des propriétés fixé par la signification des prédicats n’est pas ontologiquement sérieux. Une différence dans la signification n’a pas besoin de signifier une différence ontologique. L’identité d’une propriété ne dépend pas de son rôle sémantique. Autrement dit, lorsque l’on affirme que C explique E, on signifie que l’énoncé E stipule que l’événement e s’est produit et que C, l’explanans, stipule qu’un certain autre événement c s’est aussi produit. L’exclusion explicative doit alors se comprendre comme l’affirmation qu’il ne peut y avoir plus d’un énoncé explanans, complet et indépendant pour l’ensemble d’énoncés stipulant que l’effet e s’est produit. Il peut en effet, y avoir un grand nombre de relations entre les affirmations et les événements. Ce n’est pas parce que l’événement c cause l’événement e que C explique causalement les énoncés E.  La relation causale tient entre les événements indifféremment à la façon dont ils peuvent être décrits. Autrement dit, deux explications, parce que les relata sont des entités linguistiques, peuvent se référer au même événement. En effet, l’explication est une approche épistémologique, et non ontologique, des choses dans le monde.

Alors, s’il y a compétition entre le mental et le physique pour l’efficience causale où se situe-t-elle ? Entre les explications ou entre les événements ? Si deux événements sont en compétition, sans doute y en a-t-il un qui n’est pas le bon ! Mais peut-on parler d’exclusion explicative ?[4]

Références

[1] 1989/2008, « Mécanisme, finalité et exclusion explicative », dans La survenance et l’esprit, volume I, éditions Ithaque, p. 68-98.

[2] 1988, « Explanatory Realism, Causal Realism, and Explanatory Exclusion », Midwest Studies in Philosophy 12, p. 233.

[3] Op., cit., p. 88.

[4] Dans la préface à l’édition Française de la survenance et l’esprit, volume I, M. Kistler analyse l’argument de Kim à la lumière  de l’histoire récente de la philosophie analytique.

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