Première publication, juin 2010 (révisée août 2015)
Le nouveau livre de la collection « Chemins philosophiques », qui vient de paraître chez Vrin, questionne l’identité.
Dans Qu’est-ce que l’identité, Filipe Drapeau-Comtin nous donne à lire une de ces investigations philosophiques particulièrement féconde à propos d’un terme qui pourrait bien, de prime abord, nous apparaître sans vraiment de relief mais qui, pour peu qu’on le mette à l’épreuve du travail philosophique, s’avérer particulièrement retors.
Mais précisons un peu, et commençons le plus simplement qui soit : pour compter un groupe d’objets, par exemple, on a besoin de savoir ne pas confondre deux objets distincts. Et si dans ce groupe se trouvent deux objets qui se ressemblent et que l’on qualifie de « mêmes », deux boules rouges par exemple, (dont on peut dire qu’elles partagent la propriété de la sphéricité et de la rougeur) nous devons numériquement les distinguer alors que, qualitativement, nous ne pouvons que les confondre. Le « même » aurait donc deux sens ? Ce que le comptage d’objets identiques nous montre c’est que l’identité qualitative n’implique pas l’identité numérique, mais plus étonnant, l’identité numérique n’implique pas l’identité qualitative. En effet, « L’idée que des objets pourraient être les mêmes numériquement sans l’être qualitativement est absurde […] Comment pourrais-je être dissemblable de moi-même au même moment ? » questionne l’auteur au début de son ouvrage. Et ce lien entre l’identité et le changement, Filipe Drapeau-Contim l’explore à travers l’analyse du concept de persistance, concept central à l’ontologie des personnes, tout au long de son livre.
Le travail d’élucidation auquel l’auteur se livre nous entraîne vers une analyse formelle de l’identité dans laquelle les différentes propriétés (réflexivité, transitivité, indiscernabilité et nécessité) sont examinées. Les principes célèbres de Leibniz de l’identité des indiscernables et de l’indiscernabilité des identiques, y sont alors clairement exposés. Mais ce que met en évidence l’analyse logique de ces principes est le besoin d’une métaphysique des propriétés. En effet, doit-on appliquer les principes leibniziens à des propriétés comme être le mari de Xanthippe ou occuper une certaine région de l’espace ? L’indiscernabilité à l’égard de toutes les propriétés conduirait à un tour de passe-passe trivial (si a possède toutes les propriétés de b, alors a est identique à b) et si, pour éviter cette trivialisation, l’on adoptait une attitude contraignante à l’égard des propriétés, comme n’accepter que les propriétés qualitatives au sens strict, alors certes on pourrait admettre qu’il soit vrai qu’il n’y a pas deux objets indiscernables dans le monde actuel, mais cela nous imposerait d’affirmer qu’il est métaphysiquement impossible qu’il y en ait – et une telle affirmation n’est pas vraiment défendable. Ce « double échec » nous montre, selon F. Drapeau-Contim, qu’il est vain de vouloir chercher à définir l’identité. Mais nous pouvons néanmoins utiliser deux de ses propriétés logiques, la transitivité et l’indiscernabilité et l’appliquer comme norme dans l’épineux problème de la persistance.
Cependant, si « la logique nous livre les normes de nos jugements d’identité [elle] ne nous dit pas comment les appliquer » (p. 32) écrit le philosophe qui se demande comment résoudre le problème de l’incompatibilité de l’identité et du changement. Platon enfant est-il la même personne que le vieil homme rédigeant le Timée ? La logique ne nous dit rien sur la persistance d’une personne à travers le temps. Pour Locke c’est la mémoire. C’est par le souvenir que j’ai d’avoir été tel et tel que je suis la même personne (p. 41). Ce qu’il faut rechercher serait donc un critère d’identité temporelle. Un objet à t serait le même à t’ à la condition qu’il existe une certaine continuité spatio-temporelle et qualitative entre eux. Or le critère s’avère bien flou. Et l’auteur de nous démontrer qu’il est inutile de vouloir formuler un critère de la persistance d’une chose si l’on n’a pas le concept de la sorte de chose qu’elle est (p. 44). En effet, la même personne que je suis au travers du temps fait-elle de moi le même homme ? Si la première identité repose sur la continuité psychologique, la seconde s’installe sur une continuité biologique. Devrions-nous alors admettre que la conception d’une identité qui serait applicable à tous les objets est incohérente et qu’en conséquence, il nous faille admettre l’idée d’une identité relative ?
Dans son ouvrage, F. Drapeau-Contim répond à cette question en prenant position et défend, contre Peter Geach (dont il commente un texte dans la deuxième partie de l’ouvrage) une thèse qui préconise que nous ferions mieux de nous débarrasser de la notion d’identité relative à un certain sortal. « Il est [alors] question d’un chat, Tibbles, assis sur un tapis » (p. 95) qui perd ses poils et la question est de savoir si la constitution matérielle implique l’identité. L’argument du paradoxe de la fission nous est alors présenté avec méthode et grande clarté. Et l’auteur nous persuade, dans un style accessible et au moyen d’une forme analytique précise, que nous devrions abandonner cette idée d’identité relative qui fait de chacun d’entre nous des créatures flottantes, et de Tibbles, un chat indéterminé.
Enfin, pour étayer la défense de l’identité absolue, F. Drapeau Contim, construit un commentaire éclairant d’un extrait du livre maître de D. Lewis, De la pluralité des mondes, dans lequel, prenant parti pour la thèse du perduratisme (thèse qui défend qu’une chose existe à plusieurs moments du temps) contre l’endurantisme (thèse qui défend qu’une chose persiste en étant entièrement présente à plus d’un moment), il nous montre que ce n’est pas la conception de l’identité comme absolue qui pose problème, mais la conception endurantiste des objets (p. 113). Ainsi, dans cette ontologie quadridimensionnaliste (les trois dimensions de l’espace plus le temps) la personne que nous sommes n’est présente qu’en partie à chaque instant.
C’est ainsi que partant de la question liminaire « Pourquoi faire grand cas de l’identité ? » F. Drapeau-Contim conduit une analyse très efficace qui devrait éclairer tous ceux que préoccupent les questions ontologiques et métaphysiques.