Première publication, janvier 2008 (révisée août 2015)
Pour Wittgenstein, un problème philosophique a la forme de : « Je ne m’y reconnais pas. »[1] Notre pensée fait des noeuds et le travail philosophique consiste à dénouer ces noeuds que, via des confusions de langage, nous avons introduits. Pour y remédier, il faut alors nous tourner, avec attention, vers l’usage ordinaire de notre langage et, ce faisant, nous trouverons que les problèmes philosophiques se dissolvent et avec eux, bon nombre de théories philosophiques, nous dit Wittgenstein.
Si la philosophie, parfois, prend une mauvaise direction ou donne l’impression de faire des noeuds, cela signifie-t-il que les philosophes s’engluent à poursuivre des problèmes générés par leurs propres théories ? Pas forcément ! Les théories philosophiques ne sont pas des théories empiriques. En effet, elles ne sont pas contraintes par l’expérience. En conséquence, une théorie peut exercer une certaine influence tout en se libérant de l’expérience, du sens commun, voire de la science. Peut-être qu’une certaine conception du langage qui prétendrait que l’on pourrait, des structures du langage, dégager des structures de la réalité est responsable de cette mauvaise direction.
Lorsque nous voulons parler des propriétés des choses, par exemple, nous devons accepter le principe qu’elles doivent être distinguées des prédicats. En effet, « pour extraire les prédicats, il faut bien posséder le patron préalable des propriétés. »[2] Comment, lorsque l’on affirme qu’une pomme « est rouge », parvient-on à expliquer pourquoi elle est rouge ? Est-ce que le prédicat « est rouge » s’applique à la pomme parce que la pomme est rouge ou est-ce que la pomme est rouge parce que le prédicat « est rouge » s’applique à elle ? Comment pouvons-nous expliquer la ressemblance de deux pommes rouges sans postuler l’existence de ces aspects ? Appliquer un prédicat à un particulier, sans postuler l’existence d’une propriété dans le particulier, revient à justifier la rougeur de la pomme par l’usage de la seule expression linguistique « est rouge » appliqué à ce particulier. Pour ce nominalisme des prédicats, qui dénie l’existence des propriétés, la rougeur est seulement le prédicat ‘est rouge’.
Le nominalisme des prédicats ne peut donc pas expliquer pourquoi une pomme est rouge et non verte. Rien, en effet, ne peut être dit au sujet du monde permettant d’expliquer pourquoi ce particulier est de cette manière ou de cette autre. De telles thèses nous laissent avec le seul critère sémantique de l’application, correcte ou non, des prédicats. C’est-à-dire qu’il est correct de dire que a est F si a appartient à l’extension de ‘F’. Cependant, comme l’analyse George Molnar « cela certes fournit une réponse formellement adéquate à la requête pour un vérifacteur de l’énoncé ‘a est F’. Mais ce n’est pas métaphysiquement adéquate ». [3] La réponse alternative que nous pouvons faire est alors celle-ci : a appartient à l’extension de ‘F’ parce qu’il possède une certaine propriété.
Références
[1] 1953, Philosophical Investigations, Rhees R. and Anscombe, G.E, Oxford Blackwell, trad. Française, Investigations philosophiques, par P. Klossowski, Gallimard, 1961, nouvelle traduction française, Recherches philosophiques, Françoise Dastur et Maurice Elie, Gallimard, 2005, § 123.
[2] 2006, Les propriétés des choses : expérience et logique, Paris, Vrin, p. 218.
[3] 2003, Powers, a Study in Metaphysics, edited par Stephen Mumford, Oxford: Oxford University Press, p. 23.