Un fantôme dans la machine (ontologique)

Première publication, septembre 2010 (révisée août 2015)

quine fantomatique

Après la parution des deux ouvrages d’ontologie, celui de Frédéric Nef, à l’automne dernier et celui d’Achille Varzi au printemps, et en attendant la traduction du livre de John Heil Du point de vue Ontologique, on peut lire, sur le site généreux de Barry Smith, un article – comme une mise en garde – intitulé « Against Fantology »[1], qui nous éclaire sur ce que devrait être le travail en ontologie s’il n’était pas hanté par la présence d’une « force obscure »  qui, depuis une centaine d’années, endommagerait toute l’entreprise. Cette force obscure est une certaine conception de l’ontologie qui consiste à penser qu’en prêtant attention à certaines structures superficielles de la logique des prédicats de premier ordre, introduites par Frege et Russell, on peut extraire une bonne ontologie.

D’une manière générale, ce que B. Smith interpelle du vocable de « fantologie » est ce qui conduit à l’impasse en ontologie selon A. Varzi[2] (2010, p. 49) et aux problèmes que soulève l’usage de la théorie de la quantification pour déterminer l’existence que signale F. Nef. Que la clef de la structure de la réalité puisse être trouvée dans le langage est justement l’impasse qui conduit à l’ontologie fantomatique. Pour B. Smith, l’origine de cette errance spectrale a son origine chez Frege et Russell et le Wittgenstein du Tractatus[3], en passant par le cercle de Vienne, quand alors on arguait, explicitement, que la logique des prédicats du premier ordre reflétait la réalité. Manifestement certaines propositions du  Tractatus donnent le ton :

4.121   La proposition montre la forme logique de la réalité. Elle l’indique.

4.1211 C’est ainsi que la proposition « fa » montre que dans son sens l’objet a apparaît ; les deux propositions « fa » et « ga » montrent que dans toutes les deux il est question du même objet a.

6.124   Les propositions logiques décrivent l’échafaudage du monde, ou plutôt elles le figurent.

Mais la poursuite équivoque, selon B. Smith, par les philosophes contemporains  d’un certain usage des prédicats perdurerait. En effet, lorsque Quine[4] s’en remet aux sciences en nous livrant la clef de l’engagement ontologique dans la formalisation efficace qui est celle de la logique du premier ordre, il se soumet, toujours selon Smith, à la force obscure. En effet, Pourquoi devrions-nous supposer que la forme de la réalité trouve son reflet dans le langage ? Non seulement on ne peut pas extraire les structures du monde de nos représentations linguistiques, mais la forme logique de notre langage n’est d’aucune manière le reflet de la forme du monde.

Alors que la logique formelle cherche à connecter des vérités au moyen d’implication, de consistance, etc.,  l’ontologie formelle (qu’inventa Husserl) cherche à connecter les choses avec les objets et les propriétés, les parties et les touts… Et  il n’existe pas de raison a priori affirme Smith de supposer que ces deux familles d’interconnexion devraient être identiques.

L’idée fondamentale défendue par B. Smith et les partisans du tournant ontologique, c’est que les prédicats de la logique du premier ordre ne représentent pas des entités du monde. Ces prédicats ne font que lier ensemble une syntaxe. L’erreur de la fantologie est de considérer que le « F » dans « Fa » représente quelque chose, quelque chose qui traverse la frontière entre ce qui est général dans la réalité (des universels, des propriétés, des essences) et ce qui est logico-linguistique dans le royaume des significations (des concepts, des propositions).

En effet, si les concepts nous permettent d’accéder à la réalité, – ils en sont le chemin et celui-ci n’est pas barré – ils ne nous disent rien sur les structures ultimes de cette réalité. En ontologie la tâche consiste à rendre compte de la nature et de la structure du monde lui-même. Il s’agit donc d’en finir avec cette croyance que la structure de notre pensée refléterait la structure du monde.

Références

[1] J. Marek and E. M. Reicher (eds.), Experience and Analysis, Vienna, 2005, p. 153–170.

[2] 2010, Ithaque, p. 49.

[3] 1922, Tractatus Logico-Philosophicus, trad. D. F. Pears et B. F. McGuinness, London, Routledge & Kegan Paul, trad. française de l’allemand, de G. G. Granger, Paris, Gallimard, 1993.

[4] 1953, From a Logical Point of View, Harvard Univ. Press, trad. française, S. Laugier (sous la dir.) Du point de vue logique. Neuf essais logico-philosophiques,  Vrin, 2003.

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