Première publication, octobre 2008 (révisée août 2015)
Il paraît bien difficile de concevoir qu’il puisse exister des zombies dans notre monde actuel. Cependant, certains philosophes pensent qu’ils sont logiquement possibles. Par « logiquement possible », il faut comprendre que l’idée de la possibilité des zombies est consistante et qu’il existe au moins un monde possible dans lequel existe des zombies. Si c’est le cas, si nous pouvons concevoir des zombies, si la notion de zombies est cohérente, affirme David Chalmers[1], alors nous devons accepter que nous sommes dans l’impossibilité d’expliquer la conscience à l’intérieur du physicalisme.
Un monde de zombies est un monde physique comme le nôtre et qui partage toutes nos lois physiques. Cependant, dans notre monde, il n’y a pas de zombies – enfin, nous le croyons, et les zombies aussi le croient !
Chalmers soutient que les lois qui nous permettent d’être conscients sont ancrées dans les structures fonctionnelles du monde physique. Si vous êtes conscient, c’est parce que vous possédez un type d’organisation fonctionnelle et parce qu’une loi de nature associe les expériences de conscience avec ce genre d’organisation fonctionnelle. Dans un monde de zombies, cette dernière loi de nature n’existe pas.
La possibilité des zombies se fonde sur l’idée que la conscience serait reliée de façon contingente aux processus et états physiques. Pour Chalmers, les faits de la conscience ne surviennent pas « logiquement » sur les faits physiques[2]. D’une manière générale, tous les faits de notre monde surviennent logiquement sur les faits physiques, mais un seul type de faits résiste : les faits de la conscience. Autrement dit, si un certain arrangement de particules forme la base subvenante du fait d’être un homme, le fait d’être dotée d’une conscience, quant à lui, nécessite qu’il existe une certaine loi de nature contingente liant le fait de conscience à cet arrangement de particules.
La survenance logique revient à penser que si l’on parvient à organiser correctement les parties vous créez le tout. La survenance naturelle, par contre, dit que si vous arrangez correctement les parties, alors, étant donné certaines lois de nature, un nouveau genre d’entité voit le jour. La survenance naturelle apparaît alors comme une relation entre des niveaux d’être.
Certes, le monde se présente à nous avec des niveaux de complexité et d’organisation, mais peut-on parler de niveaux d’être ? La conscience serait alors un phénomène de niveau supérieur qui, sur la base de lois de nature contingentes, proviendrait de phénomènes physiques mais occuperaient un espace ontologique isolé.
On peut réfuter l’argument de la possibilité des zombies en affirmant que les états d’esprits, dont les états de conscience, sont seulement des états fonctionnels. Ainsi, si deux agents sont dans le même état fonctionnel, ne prenant alors pas en compte les différences qualitatives des réalisateurs de ces états, ils partageront le même état mental. Pour Chalmers, la négation des qualia – c’est le point de vue de Daniel Dennett – est ici justement ce qui pose problème. Les zombies sont précisément comme nous ! Le fonctionnaliste « dur » peut reconnaître cette possibilité mais refuse qu’elle puisse être pertinente. Pour Dennett, l’hypothèse des zombies n’est qu’un simple contre exemple du fonctionnalisme. Est-ce qu’affirmer qu’un contre exemple est faux suffit à écarter une théorie ?
Rejeter la contingence des lois de nature revient à affirmer que les lois de nature sont ce qu’elles sont parce que les objets qui composent notre monde ont leurs propriétés essentiellement. Ces propriétés confèrent à leurs possesseurs des pouvoirs particuliers. Les qualités et les pouvoirs ne peuvent pas, si l’on dénie que les lois de nature sont contingentes, varier indépendamment les uns des autres. La possibilité des zombies dépend du rejet de cette thèse. Ainsi, en introduisant la possibilité des zombies dans la construction d’un argument qui finit par soutenir que l’explication de la conscience échappe au physicalisme, on soutient, de façon sous-jacente, un certain nombre de thèse ontologiques concernant les propriétés, les pouvoirs et les lois de nature.
Ainsi, la possibilité des zombies ne peut se fixer que sur certaines fondations ontologiques. En conséquence, mettre à jour ces fondations, les discuter, chercher à les soutenir ou vouloir les remplacer, c’est faire de la métaphysique.
Références
[1] 1996, The Conscious Mind: In Search of a Fundamental Theory, New York and Oxford: Oxford University Press, p. 96.
[2] Ibid., p. 36.